Le grand physicien Stephen Hawking est décédé le 14 mars 2018. Véritable légende de la physique, il fut aussi un talentueux vulgarisateur de ses travaux de recherche : trous noirs, théorie des supercordes, rayonnement de Hawking, théorèmes sur les singularités... 

Cet astrophysicien né le même jour que Galilée (un 8 janvier) et décédé le jour où Albert Einstein aurait eu 139 ans, aura impacté et renouvelé l'héritage de ce dernier probablement plus que tout autre jusqu'à maintenant (à l'exception peut-être de Roger Penrose et John Wheeler) en ce qui concerne la relativité générale et le problème de sa réconciliation avec la théorie quantique.

Il a aussi défié la maladie de Charcot et la mort (Voir films et documentaires  A Brief History Of Time, d'Errol Morris, Une merveilleuse histoire du temps, avec Eddie Redmayne et Felicity Jones, un téléfilm de la BBC (nettement plus fidèle à la réalité que Une merveilleuse histoire du temps), dans lequel Benedict Cumberbatch joue le rôle de Stephen Hawking.

Lorsque Hawking arrive à Cambridge au début des années 1960, la théorie de la relativité générale d’Einstein est en train de sortir de l'étiage dans lequel elle était depuis quelques décennies. La découverte des quasars ne cadre pas avec le modèle dominant de la cosmologie de l'époque, la fameuse théorie de l'état stationnaire, proposée à la fin des années 1940 par Fred Hoyle, Thomas Gold et Hermann Bondi et qui décrit l'univers comme infini, éternellement en expansion et dont la densité reste constante à cause d'un processus de création continue de particules de matière.

On se met à chercher des modèles d'étoiles très massives avec un fort décalage gravitationnel vers le rouge à cause d'effets relativistes pour expliquer l'existence des quasars. Sortant tout juste de la course à la création des bombes à hydrogène, des théoriciens comme John Wheeler et Iakov Zeldovitch se tournent vers la théorie de la plus grosse explosion qu'on puisse imaginer, celle du Big Bang, même si l'hypothèse n'a pas encore très bonne presse dans la communauté scientifique.

Du côté de la physique des particules élémentaires, de nouvelles particules sont sans cesse découvertes alors qu'aucune théorie ne semble vraiment en mesure d'expliquer leur existence et leurs propriétés. Rebuté par l'aspect par trop « botanique » de cette physique, Hawking se tourne alors vers la cosmologie qui, elle, dispose d'une théorie bien spécifique, la théorie de la relativité générale.

À Cambridge, Hawking passe son doctorat sous la tutelle Dennis Sciama,qui sera non seulement le mentor de Hawking mais aussi celui de Martin Rees, de Brandon Carter et même, pendant un temps, de Roger Penrose (ce mathématicien spécialiste de la géométrie algébrique va plonger dans le monde de la physique et de la cosmologie relativiste sous l'influence de Sciama).

Hawking passe sa thèse brillamment en 1965, consacrée bien sûr à la cosmologie. Il étend les travaux de Penrose sur les singularités à l'intérieur des trous noirs pour démontrer qu'il en existe également dans le cadre des modèles de cosmologies relativistes, impliquant dans ces modèles un véritable début du temps. Hawking sait et dit qu'on ne peut faire confiance aveuglément à cette prédiction sans une théorie quantique de la gravitation. Les trous noirs sont un laboratoire naturel pour la trouver car comme l'avait déjà remarqué John Wheeler (à qui l'on doit le terme de trou noir), l'effondrement d'une étoile donnant un trou  noir ressemble beaucoup, si l'on change le sens de l'écoulement du temps, à l'expansion de l'univers depuis le Big Bang. C'est d'ailleurs en exploitant cette idée que Stephen Hawking a transposé le travail de Penrose sur l'occurrence d'une singularité de l'espace-temps avec un trou noir en formation au cas du Big Bang.

Il va se consacrer, avec d'autres chercheurs (dont George Ellis, aussi élève de Sciama, et Robert Geroch, élève de Wheeler), à l'approche géométrique et topologique des solutions des équations d'Einstein. Celle-ci a été initiée par Penrose et permet d'établir et de décrire en particulier les singularités et autres propriétés de l'espace-temps associées à la physique des trous noirs et des modèles cosmologiques relativistes. Il en sortira une monographie monumentale écrite au début des années 1970 avec son condisciple George Ellis, The Large Scale Structure of Space-Time, qui peut être vue comme un développement considérable de sa thèse.

Hawking hésite un temps à se lancer dans le domaine des ondes gravitationnelles, alors en plein développement. Il abandonne vite celui-ci après quelques travaux pour le laisser à l'un de ses amis proches, le futur prix Nobel de physique Kip Thorne, qui va l'explorer en relation avec la physique des trous noirs et des étoiles relativistes.

Toujours au début des années 1970, Hawking établit un théorème sur la croissance de la surface des trous noirs qui semble donner du poids à l'idée révolutionnaire d'un jeune thésard de Wheeler, Jacob Bekenstein. Hawking pense que l'idée de Bekenstein, qui consiste à associer une entropie à la surface d'un trou noir, est  idiote. Un trou noir devrait alors avoir une température et donc rayonner, ce qui apparaît impossible du point de vue de la théorie de la relativité générale. Hawking décide de montrer que cette idée est bel et bien absurde tout en développant une idée à lui basée sur le concept de minitrou noir.

Dans le cadre des équations d'Einstein, le début de l'univers devait correspondre à un état de l'espace-temps très chaotique et turbulent qui pouvait contraindre son contenu en matière ou en lumière à s'effondrer localement en donnant des trous noirs de masses pouvant être très inférieures à celle d'une planète, voire d'un atome. On pouvait même imaginer l'existence de minitrous noirs chargés se comportant comme des particules élémentaires relativement stables dans les rayons cosmiques.

De retour à Cambridge, Hawking découvre son fameux rayonnement conduisant à l'évaporation des trous noirs. Il s'engage alors dans l'exploration des conséquences du mariage de la théorie d'Einstein et des lois de la théorie quantique des champs en espace-temps courbe, à la recherche d'une véritable théorie quantique de la gravitation, laquelle est nécessaire pour vraiment comprendre comment l'univers a commencé.

Perdant graduellement l'usage de ses mains (et aussi de la parole), Hawking ne pouvait déjà presque plus faire de calculs au début des années 1970. C'est pourquoi il s'est concentré sur des approches et des raisonnements géométriques comme ceux développés par Roger Penrose et les travaux de Richard Feynman avec ses fameux diagrammes et son intégrale de chemin, capitaux pour le succès de la révolution du modèle standard en physique des particules (la QCD et la théorie électrofaible basée sur les équations de Yang-Mills et la théorie des groupes) au cours des années 1970.

Avec des collègues, il produit une série de résultats uniques, aidé par cette approche qui a fait de son handicap une force et qui avait déjà commencé à montrer sa puissance avec la découverte de ce qui est maintenant appelé « le rayonnement Hawking ».

Au début des années 1980, et alors que les théories de la supergravité et bientôt des supercordes, commencent à donner des résultats très prometteurs, il pense qu'une théorie unifiée de toutes les forces et de toutes les particules, le graal poursuivi par Einstein jusqu'à sa mort, est à portée de main ainsi qu'une théorie quantique de la gravitation permettant enfin de percer les secrets du Big Bang.

Lui-même fait une proposition fascinante en ce sens avec James Hartle en introduisant l'idée d'un temps imaginaire en cosmologie. C'est le fameux modèle sans bord de Hartle-Hawking qui supprime la singularité cosmologique primordiale.

Au cours de ces années, Hawking est également un fervent défenseur de la théorie de la supersymétrie et de la théorie de l'inflation, qu'il contribue à développer. Il se penche aussi sur la question des trous de ver, qui modifient la topologie de l'espace-temps, en leur donnant une structure en écume ; ceux-ci sont susceptibles de résoudre le fameux problème de la valeur de la constante cosmologique, qui deviendra encore plus aigu avec la découverte la décennie suivante de l'accélération de l'expansion de l'univers.

Sa théorie quantique des trous de ver suggère d'ailleurs qu'on ne pourra pas observer le boson de Brout-Englert-Higgs au LHC et Hawking prend un pari à ce sujet. Pari qu'il perdra en 2012 à l'annonce de la découverte de celui-ci.

Les trous noirs, le paradoxe de l'information et le principe holographique

Pendant les années 1990, il accompagne également la seconde révolution des supercordes avec l'essor de la théorie M, des modèles de cosmologie branaire et du principe holographique, dont l'expression la plus précise est la fameuse correspondance AdS/CFT, découverte par Juan Maldacena.

Avec l'arrivée du XXIe siècle, la production scientifique de Hawking va se ralentir, mais elle ne disparaîtra pas. L'astrophysicien va intervenir dans le débat sur le paradoxe de l'information concernant les trous noirs, qu'il a été le premier à introduire en physique, en particulier avec la polémique sur l'existence ou non d'un « firewall »

On s'attendait à ce que le LHC permette de créer des minitrous noirs et des particules de matière noire supersymétriques, démontrant l'existence de dimensions spatiales supplémentaires, validant la théorie des supercordes et ouvrant l'ère de la gravitation quantique expérimentale en reproduisant vraiment les conditions de la naissance quantique du cosmos observable. On espérait également voir des signes d'une théorie du tout et peut-être de la gravitation quantique dans le rayonnement fossile, cartographié comme jamais par Planck.

Il n'en fut rien et la quête de signatures des phases finales de l'évaporation de minitrous noirs sous forme de flashs de rayons gamma s'est soldée par un échec. Pour ces raisons, et malgré l'énorme influence des travaux de Hawking sur la physique depuis presque cinquante ans, celui-ci nous a quittés sans recevoir de prix Nobel, et nous n'en savons pas plus aujourd'hui sur l'énigme du Big Bang et les lois ultimes de l'univers que ce que Hawking nous a appris au cours des années 1970 et 1980.

 (D'après FUTURA Sciences)