Un regard éclairé sur les sociétés humaines

Pour cet agrégé de philosophie devenu ethnologue, il existe une multiplicité de critères pour juger des sociétés humaines et de leur réussite et c’est une erreur de vouloir appliquer les normes de nos sociétés occidentales et industrielles au monde entier. Son anthropologie met au jour les écarts, les différences qui rendent le monde pluriel. Son regard ouvert et multipolaire englobe aussi la nature. L’anthropologie « appelle à la réconciliation de l’homme et de la nature dans un humanisme généralisé ».

 

Cet « ethnologue improvisé », comme il se définit lui-même, naît et grandit à Bruxelles dans les ateliers de son père portraitiste mis au chômage par l’avènement de la photographie. Etudes brillantes, engagement à la SFIO, passion pour Marx, licence de droit, agrégation de philosophie.  Professeur de philo, il a une révélation en lisant Primitive Society de Robert H. Lowie,  part au Brésil enseigner la sociologie et découvre l’Amazonie et le Mato Grosso. Son observation des populations indiennes servira de base à ses réflexions sur la parentalité.
A New York où il se réfugie en raison des lois antijuives de Vichy, il rencontre le linguiste Roman Jakobson et la linguistique structurale qui lui apporte des éléments théoriques qui serviront à sa théorie. Il publie en 1949 Les Structure élémentaires de la parentalité où il étudie les systèmes d’alliances dans ces populations. En 1948, il devient sous-directeur du Musée de l’Homme, puis directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes et dix ans plus tard, professeur au Collège de France en anthropologie sociale. Triste Tropiques en 1955 connait un immense succès, suivi de quatre tomes de Mythologiques publiés de 1964 à 19701.
Derrière le chaos des rites, des coutumes et des récits traditionnels, il cherche les principes qui les structurent et les ordonnent.

Les Structures élémentaires de la parentalité

Cet ouvrage est encore aujourd’hui une référence car il propose une explication universelle des règles du mariage. Depuis les travaux fondateurs de Lewis Morgan (1818 _ 1881), on savait que dans de nombreuses cultures le mariage est règlementé de manière plus stricte que dans les sociétés occidentales et impose de se marier avec certaines catégories de parents. Levi-Strauss l’explique par le concept de réciprocité tel que défini par l’anthropologue Marcel Mauss (1872 – 1950) dans son Essai sur le don. Le « bien » offert est le gage d’une relation de réciprocité. La prohibition de l’inceste, l’exogamie, s’expliquent par l’obligation de « faire circuler » les femmes entre les familles. L’échange des femmes a une fonction d’intégration sociale, d’alliance, de cohésion et de solidarité. Les systèmes de parenté assurent l’existence du groupe social. Cette théorie est-elle vraiment universelle ? Toujours est-il qu’elle a été le point de départ du structuralisme qui a été repris par l’ensemble des sciences humaines et la philosophie.

Tristes Tropiques et La Pensée Sauvage

Fruit de son expérience au Brésil puis en Asie, Tristes Tropiques est une autobiographie et un constat de ravages infligés aux sociétés indigène par la civilisation occidentale. Les tropiques dépeuplés d’Amérique du Sud, tout comme les tropiques surpeuplés de l’Inde appellent à une méditation sur la nature de la civilisation.
La Pensée Sauvage analyse les systèmes de classification de la nature élaborés dans ces cultures. Il réhabilite une logique propre au monde sensible, la « science du concret » : Les techniques issues de la révolution néolithique – agriculture, poterie, tissage, etc. supposent des siècles d’observations méthodique et d’expériences répétées. Lévi-Strauss explique que la pensée scientifique et la pensée « sauvage » n’ont pas le même type d’objet. Alors que la première ne retient de la nature que ce qui est mesurable, la seconde, où dominent perception et imagination, s’intéresse aux qualités sensibles (formes, couleurs, odeurs) pour classifier les éléments du monde, ce qui est déjà « une étape vers un ordre rationnel et la constitution d’une mémoire. » Un panier, un masque, une parure comparés à d’autres, insérés dans un ensemble, se mettent à parler. La coupure entre choses sensibles et monde des idées est mise en cause et contournée. Cet ouvrage marque l’émergence des sciences humaines et des thèmes majeurs de la pensée française des années 60 : primauté de l’inconscient, dépendance du sujet par rapport aux structures sociales, etc.

Mythologiques

Cette étude comparative sur 800 mythes amérindiens veut montrer qu’ils reposent sur un système de concepts solidement charpentés. Chaque récit mis en relation avec les pratiques et les institutions dont il est issu, Lévi-Strauss prouve que les catégories de cru et de cuit, de frais et de pourri, de mouillé et de brûlé illustrent sous une forme concrète des notions abstraites comme les rapports entre la nature et la culture, vie et la mort, le ciel et la terre... Il montre aussi que les récits mythiques passant d’une société à une autre, d’une culture à une autre subissent des transformations, notamment par inversions régulières. Il analyse les opérations mentales par lesquelles les cultures forgent leur identité en se distinguant de leurs voisines et comment les mythes sont liés par les contrastes qui les opposent. L’identité d’une culture est « diacritique », constituée de l’intérieur par les différences qui la séparent de sa voisine. Les historiens comme Jean-Pierre Vernant (1914 – 2007) et Marcel Détienne (né en 1935) ont utilisé sa conception structuraliste pour renouveler notre compréhension des mythes grecs.

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