"L’homme est un loup pour l’homme"   »

Philosophe anglais, le plus vigoureux et le plus original parmi les maîtres modernes de la sociologie. Il entra à Oxford en 1605; là il prit en haine le régime intellectuel des universités ainsi que leur esprit de fanatisme religieux. Son traité le plus connu, Léviathan (1651) fit scandale. En 1667, il est un des écrivains nommément visés par l'Unbill des Communes, voté sous l'émotion causée en Angleterre par le double fléau de la grande peste et de l'incendie de Londres. Thomas Hobbes est l'un des premiers philosophes qui fonde la légitimité du pouvoir sur autre chose que la religion ou la tradition. Il fonde l'ordre politique sur un pacte entre les individus, et fait de l'homme un acteur décisif dans l'édification de son monde social et politique. L'homme mû principalement par la crainte et le désir doit ainsi sortir de l'état primitif et fonder un état artificiel sur les bases de la raison : c'est le passage de l'état de nature à l'état de droit civil.

L’état de nature, c’est l’état de la « guerre de tous contre tous » (Bellum omnium contra omnes). Les hommes y sont gouvernés par le seul instinct de conservation - que Hobbes appelle « conatus » ou désir. A l’état de nature, les hommes sont égaux, ils ont les mêmes passions, les mêmes droits sur toutes choses, et les mêmes moyens - par ruse ou par alliance - d’y parvenir. Chacun désire légitimement ce qui est bon pour lui. Chacun essaie de se faire du bien et chacun est seul juge des moyens nécessaires pour y parvenir. C'est pourquoi bien souvent les hommes ont tendance à entrer en conflit les uns avec les autres. Cet état, fondamentalement mauvais, ne permet pas la prospérité, le commerce, la science, les arts, la société.

Contrat social contre l’anarchie

L'homme comprend que pour subsister, il n'y a pas d'autre solution que de sortir de l'état de nature. Du côté des passions, la peur de la mort, le désir des choses nécessaires à la vie et l'espoir de les obtenir par son travail motivent cette sortie hors de l'état de nature; du côté de la raison, celle-ci « suggère les articles de paix adéquats, sur lesquels ils se mettront d'accord », que Hobbes appelle « lois de nature », dictées par la raison et conduisant à limiter le droit naturel de chacun sur toutes choses. La première et fondamentale loi de nature est qu'il faut rechercher la paix et ne rechercher le secours de la guerre que si la première est impossible à obtenir. Ces lois naturelles sont éternelles et immuables, et  reposent sur la rationalité. Mais elles doivent être appliquées par tous. Ce qui va fonder a priori l'état civil : c'est un contrat passé entre les individus, qui permet de fonder la souveraineté. Par ce contrat, chacun transfère tous ses droits naturels, à l'exception des droits inaliénables, à une personne, le Souverain, dépositaire de l'État, ou « Léviathan » (animal biblique du livre de Job) :  « Le seul moyen d'établir pareille puissance commune, capable de défendre les humains contre les invasions des étrangers et les préjudices commis aux uns par les autres, (...), est de rassembler toute leur puissance et toute leur force sur un homme ou une assemblée d'hommes qui peut, à la majorité des voix, ramener toutes leurs volontés à une seule volonté; ce qui revient à dire : désigner un homme, ou une assemblée d'hommes, pour porter leur personne ; et chacun fait sienne et reconnaît être lui-même l'auteur de toute action accomplie ou causée par celui qui porte leur personne, et relevant de ces choses qui concernent la paix commune et la sécurité ; par là même, tous et chacun d'eux soumettent leurs volontés à sa volonté, et leurs jugements à son jugement. C'est plus que le consentement ou la concorde : il s'agit d'une unité réelle de tous en une seule et même personne, faite par convention de chacun avec chacun, de telle manière que c'est comme si chaque individu devait dire à tout individu : j'autorise cet homme ou cette assemblée d'hommes, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et autorises toutes ses actions de la même manière. »  
Le contrat est plus qu'un simple consentement, il vise à instaurer une « puissance commune » capable de tenir chacun en respect, en imposant le respect des conventions par la crainte du châtiment et de la sanction pénale. Chacun contracte avec chacun en vue de transférer ses droits à un Souverain qui les détiendra tous. Les seuls droits inaliénables sont ceux qui visent à protéger sa vie: on ne peut aliéner « le droit de résister à ceux qui vous agressent pour vous ôter la vie », non plus qu'à résister à ceux qui veulent vous emprisonner ou vous mettre dans les fers. Le Souverain promulguera des lois civiles auxquelles tous doivent se soumettre « De même que pour parvenir à la paix et grâce à celle-ci à leur propre conservation, les humains ont fabriqué un homme artificiel, que nous appelons un état, de même ils ont fabriqué des chaînes artificielles appelées lois civiles.

Ainsi, selon qu’il se trouve placé sous l’égide des lois civiles ou sous l’état de nature,  « l'humain est pour l'humain un dieu et l'humain est un loup pour l'humain. Homo homini deus et homo homini lupus. »

 Précurseur de l’Etat de droit

 Mais les lois elles-mêmes sont limitées par le « droit naturel », c'est-à-dire par la liberté ou puissance de chacun. Ainsi nul n'a d'obligation de se soumettre à l'emprisonnement ou à la peine de mort : en ce cas, chacun a la « liberté de désobéir » et le droit de résister par la force. « Nul n'est contraint », non plus, « de s'accuser soi-même ». Les lois naturelles (qui sont contenues dans les lois civiles et ont la même extension), empêchent non seulement de s'accuser soi-même, mais prohibent aussi l'usage de témoignage obtenus sous la torture.
Dans le chapitre sur les crimes et les châtiments , Hobbes laisse une place à quelques principes qui font aujourd'hui partie de ce qu'on appelle l'« État de droit » : principe de connaissance de la loi; principe de non-rétroactivité; si la peine est plus grande que ce que la loi a prescrit, il ne s'agit plus d'un châtiment, mais d'un acte d'hostilité; de même, en cas de détention préventive, « tout mal subi par celui qui est dans les fers ou entravé, au-delà de ce qui est nécessaire pour le garder à vue, et avant que sa cause ne soit entendue, est contraire à la loi de nature »; la punition des sujets innocents est aussi contraire à la loi de nature. De façon générale, toute peine qui ne vise pas à favoriser l'obéissance des sujets n'est pas une peine, mais un acte d'hostilité (la vengeance, par exemple, ne peut pas être une sanction pénale). Et tout acte d'hostilité conduit à légitimer la résistance des sujets, qui deviennent de facto ennemis de l'Etat.
Le pouvoir Souverain, reste toutefois fragile : le Leviathan est un "dieu mortel". 

Hobbes est encore très présent aujourd'hui et reconnu comme étant le penseur d'une bourgeoisie éclairée de pouvoir. Certains voient dans sa conception d'un sujet fondateur de l'ordre politique, de nouvelles formes d'assujettissement. Inscrit dans un système représentatif, jouissant d'une liberté négative plutôt que d'une absence de dépendance, le sujet de droit n'en vient-il pas à consentir à sa propre servitude ?
Notons aussi que Hobbes fut un redoutable ennemi de la tradition républicaine romaine de la vie publique. Ses efforts pour le discréditer et proposer une alternative ont fait date dans l'histoire de la pensée politique. Ils furent profondément marqués par les revendications des auteurs radicaux et des membres du Parlement lors des guerres civiles anglaises(1642), ainsi que par sa propre conviction de l'urgence et de la nécessité de s'y opposer, au nom de la paix. Ainsi certains voient dans la théorie politique de Hobbes une intervention polémique dans les conflits de son temps, sous la surface apparemment lisse de son argumentation. Et le Léviathan, ouvrage le plus fondamental de philosophie politique jamais écrit en langue anglaise, correspond de façon très spécifique au contexte politique d'une époque.