LE DESIR, cette force qui nous fait prendre des risques

Introduction au sujet

 En tout être est présente une force qui se tire de soi, une puissance d'exister,

« Idée révolutionnaire, que Baruch  Spinoza nomme « conatus », l’essence intime de chaque chose » dans son œuvre : L’Ethique -1677.

L’aspiration à l’augmenter, à l’étendre indéfiniment se manifeste chez l’homme par le désir sous toutes ses formes.

 Force d’exister, force du désir qui serait la clef de toute joie, de l’épanouissement, du plaisir, de la béatitude…Et qui peut, dans un cheminement de vie, se développer ou se réduire, car aussi bien nous pouvons cultiver la tristesse plutôt que la joie, le nuisible plutôt que l’utile …

Nous tenterons de comprendre cette force, illimitée, irraisonnée, ce désir qui nous fait prendre des risques, nous dépasser.

 Nous le soumettrons par le débat au travail de notre raison, pour atteindre une certaine forme de sagesse …

Thèmes abordés

Nous appellerons DESIR, dans le sens philosophique, une tension vers un but considéré comme une source de satisfaction.

DISTINCTION ENTRE DESIR et BESOIN

 Selon EPICURE, (342 à 270 avant J.C.), la morale  est une morale qui fait du plaisir le bien, et de la douleur le mal. Pour atteindre le bonheur (l'ataraxie), l'épicurien suit les règles du quadruple remède :

  • les dieux ne sont pas à craindre ;
  • la mort n'est pas à craindre ;
  • la douleur est facile à supprimer ;
  • le bonheur est facile à atteindre.

C'est en vue de ce dernier qu'il faut plus particulièrement penser le désir. Épicure classe ainsi les désirs :

Classification des désirs selon Épicure

Désirs naturels

Désirs vains

Nécessaires

Simplement naturels

Artificiels

Irréalisables

Pour le bonheur (ataraxie)

Pour la tranquillité du corps (protection)

Pour la vie (nourriture, sommeil)

Variation des plaisirs, recherche de l'agréable

Ex : richesse, gloire

Ex: désir d'immortalité

           

Aussi besoin et désir peuvent coïncider = désir sexuel
Cette classification n'est pas séparable d'un art de vivre, où les désirs sont l'objet d'un calcul en vue d'atteindre le bonheur.

 Le désir de plaire réside-t-il dans une émotion primaire de l’enfance ? Difficile car certains réagirons différemment devant la même situation affective dans leur enfance.

Les émotions sont-elles à l’origine du désir ? l’émotion naît du mouvement, d’une dynamique de la vie, de l’imagination : oui mais l’objet du désir reste souvent « obscur » !!!

Le désir peut être ressenti comme puissant, comme violent,

 : exemple  Dom JUAN = combat entre Apollon et Dionysos

 DISTINGUER entre DESIRER et ENVIE d’AVOIR

  • Le Mimétisme = nous avons souvent envie de « faire et vivre comme les autres » (voir René Girard « Le désir mimétique »),
  • Le Collectionneur = a besoin de satisfaire son obsession de posséder « toute les créations »,
  • Le Consumérisme = nous cédons souvent au besoin d’acquérir de « nouveaux » biens matériels, que nous « désirons » au sens affaibli de « convoiter ».

 Ces attitudes sont étudiées par Jean Baudrillard, (La Société de consommation) : la consommation est devenue un moyen de différenciation, et non de satisfaction. L’homme vit dans et à travers les objets qu’il consomme. Mieux même, ce sont les objets qui nous consomment. En corollaire de cette thèse fondamentale, Baudrillard argue que l’objectivation des relations sociales, celle du corps et des individus, ont pris le pas sur le sujet. Le monde réel a disparu selon lui, remplacé par des signes du réel, venant donner l’illusion du vrai monde. 

Si l’homme moderne s’est construit grâce aux objets qu’il a crée (cf. Descartes se rendre comme maître et possesseur de la nature“), l’homme de la société de consommation vit dans une abondance, une surabondance de produits et d’objets qui finissent par le posséder. Dans ce culte de la profusion, dont les magasins ou moles américains sont les archétypes, les individus doivent y trouver leur accomplissement, le seul salut offert par la modernité.

La société de consommation vit dans un mouvement contradictoire, dialectique : créer des objets pour s’accomplir, puis les détruire pour exister. Ceci accroît la dépendance de l’homme à l’égard de la matière (“La société de consommation a besoin de ses objets pour être et plus précisément elle a besoin de les détruire“).

 DISTINGUER entre DESIRER ET VOULOIR

La VOLONTE se traduit par le consentement conscient, à fournir des efforts et des choix excluant le plaisir présent, dans le but d’acquérir dans un futur un résultat idéal.

Il faut donc agir dans la temporalité poussé par la promesse de réussite.

 Au contraire, le DESIR c’est sortir du domaine conscient, sortir de soi, aller vers « un autre »…

Le désir est polymorphe, insaisissable, changeant, rebelle, comme l’amour chanté par Carmen  (texte d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy):

« L'amour est un oiseau rebelle

Que nul ne peut apprivoiser

Et c'est bien en vain qu'on l'appelle

S'il lui convient de refuser …/…

L'oiseau que tu croyais surprendre

Battit de l'aile et s'envola

L'amour est loin, tu peux l'attendre

Tu ne l'attends plus, il est là

Tout autour de toi, vite, vite

Il vient, s'en va, puis il revient

Tu crois le tenir, il t'évite

Tu crois l'éviter, il te tient

L'amour est enfant de bohème

Il n'a jamais, jamais, connu de loi…… »

 Nous nous demandons si la force polymorphe qui s’impose à nous et qui cherche la satisfaction pour que le plaisir et la joie adviennent, peut être conciliable avec ce qui en nous procède de la raison ?

Et quel est cet « obscur objet du désir », qui semble nous échapper chaque fois que nous croyons le « tenir » ?

Si originellement le désir est irraisonné, illimité, le soumettre au travail de la raison pour que cette dernière le canalise et le maîtrise, est-ce atteindre une certaine forme de sagesse ou tuer le désir pour le limiter au simple besoin ?

 Comment faire pour que le « Désir » qui est jouissance en puissance, se réalise en puissance de jouir ?

Voici quelques propositions de réponses :

 DEUX  VISIONS DU MONDE

I - LE DESIR PROVIENT DU MANQUE

LE DESIR  « de ce qui nous manque »  DISPARAÎT DES QUE NOUS LE SATISFAISONS,  puis laisse place à un nouveau « manque », et même à de la déception, à de l’insatisfaction. D’où la recherche quasi-obsessionnelle d’autres  conquêtes à faire, buts à atteindre et objets à acquérir.

 PLATON,(428 à 348 avant J.C.), dans un de ses ouvrages, (Le Banquet), développe une théorie « du manque de notre moitié d’être» la source du désir et de l’amour. 

Puis il poursuit longuement le dialogue et pense que le désir est « le désir de vérité », et qu’il faut pour l'assouvir se libérer de "cette chose mauvaise" qu'est le corps. Il identifie vrai et bien, et donc le vrai désir est la recherche du bien. Les faux désirs sont ceux du corps qui troublent l'âme, l'empêche d'atteindre la vérité et sont sources d'illusions. D’où l’expression « amour platonique ».

Cet idéalisme platonicien fait donc du corps une source d'erreur et de mal :

  • les désirs du corps sont moralement condamnables, sauf quand ils permettent d'accéder aux Idées ;
  • le désir de vérité est en même temps désir du Bien.
  • il faut de plus remarquer que pour Platon  le désir reste la condition d'une spiritualisation des instincts qui passe par la philosophie et la politique, par l’action dans la Cité, et qui est l'expression du désir d'immortalité.

 JJ. Rousseau (La Nouvelle Héloïse)  : « Malheur à qui n'a plus rien à désirer ! il perd pour ainsi dire tout ce qu'il possède. On jouit moins de ce qu'on obtient que de ce qu'on espère, et l'on n'est heureux qu'avant d'être heureux » …

 II - LE DESIR VIENT DE L’ETRE,

Baruch SPINOZA, (1632 à 1677), démontre que le Désir ne vient pas du manque, qui est un "non-être".

Cf « L’Ethique »

Spinoza affirme que « Le Désir est l’essence de l’homme ». Le désir est l’humanité même. L’homme est par nature une puissance d’exister, un mouvement pour « persévérer dans l’être », c'est-à-dire pour exister encore et toujours plus.

Tout existant, minéral, végétal, animal, humain, est un « CONATUS », c'est-à-dire un effort d’auto-affirmation. Une force qui poursuit son propre accroissement parce que celui-ci est vécu comme JOIE.

Il s’ensuit qu’il n’y a rien hors du Désir dont il manquerait.

En réalité c’est le désir qui produit ce manque, parce qu’en constituant tel « objet » comme désirable, il déploie la puissance d’exister. Il n’y a pas de désirable « en-soi ».

Nous désirons une chose parce que nous la jugeons bonne, et non parce qu’elle l’est !

(exemple : sinon il n’y aurait pas d’addictions mortelles !!!)

Par cette analyse, Spinoza récuse l’indépendance de la faculté de juger (l’entendement) par rapport au désir.

Chaque « nature » est singulière. L’éthique spinoziste disqualifie les notions absolues et universelles de bien et de mal, au profit de celles de bon et mauvais, utile ou nuisible.

Le spinozisme est donc une philosophie de l’immanence. Il n’y a pas de transcendance.

Il explique qu’il existe des DESIRS ACTIFS, qui conduisent à la joie d’augmenter notre être, notre puissance d’exister,

ET des DESIRS PASSIFS, qui nous sont imposés par une force extérieure, qui conduisent à la tristesse, qui est une diminution de notre puissance d’exister …

Spinoza vivra exactement selon les principes et vérités qu’il a découverts.

Son œuvre « L’Ethique », est une véritable phénoménologie de la vie affective de l’être humain.

Ce livre-monument démontre longuement des idées complètement révolutionnaires,

et sera fondatrice pour les siècles suivants, tant en philosophie, en morale, qu’en sociologie, en musique, en psychologie et inspirera la  psychanalyse, etc…

 Gilles Deleuze est un héritier de Spinoza, caractérisera les humains : de « machines Désirantes »,

En réalité,  aucune machine ne peut désirer.

Chaque machine est fabriquée par des humains (les programmeurs)  qui eux seuls sont désirants et « désirent » la concevoir et la fabriquer.

 Chez Sartre, « le désir d’avoir est au fond réductible au désir d'être par rapport à un certain objet dans une certaine relation d'être ». Sartre voit dans la possession un rapport magique: le « j’ai » devient un « je suis » : « je suis ces objets que je possède ». Dans la Critique de la raison dialectique, Sartre parlera même de la "possession-pouvoir" comme de 1'« homme-pouvoir » et aussi de 1’ « objet-pouvoir ». Il y sera question de l'action individuelle comme de « la seule réalité pratique et dialectique, le moteur de tout.

 Le Désir naît de la communication entre des êtres, seul l’échange des présences, des regards, des paroles, des idées, et des actes accomplis ensemble peut faire naître l’attrait réciproque, et faire qu’adviendra une relation source de joie.

Il est pour cela nécessaire que cela soit réalisé entre des êtres libres qui se reconnaissent comme des égaux dans leur singularité.

LA LIBERTE sans le DESIR n’existe pas,

et EN même temps,

la LIBERTE permet le DESIR ;

mais ceci sera une prochaine histoire.