Hubert Reeves, astrophysicien, interviewé sur le site Forum Events. Ses réponses éclairent les interrogations de chacun d'entre nous et nous donnent à contempler, à comprendre, à méditer , à  la lumière des connaissances les plus récentes

 L’univers. Pouvez-vous nous raconter le « big bang » ?

 Pour bien comprendre ce qui s’est passé, il est important de citer quelques éléments du contexte historique. Aristote a été le premier à énoncer l’idée selon laquelle l’univers est éternel et inchangeant à grande échelle. Cette idée a dominé la littérature scientifique et philosophique jusqu’au début de ce siècle. Puis, nous avons fait une série

d’observations, qui nous ont amenés à la remettre en cause. Aristote s’était complètement trompé. L’univers n’est pas éternel. Il n’a pas toujours existé et nous ne savons pas s’il existera toujours. 
La vision contemporaine s’appuie sur de nombreuses observations. Nous n’avons pas de certitudes, mais il semble que l’univers existe depuis environ 15 milliards d’années. Ne me demandez pas ce qu’il y avait avant, car je ne le sais pas. Nous sommes comme les explorateurs qui découvraient les continents. Nous ne savons pas ce qu’il y a au-delà de ce que nous connaissons. Pour le moment, l’horizon de la connaissance s’établit autour de 15 milliards d’années. Nous ne savons rien de ce qu’il y avait avant. Nous commençons à connaître un peu ce qui s’est passé après. 

Contrairement à l’idée aristotélicienne, nous savons que l’univers connaît une évolution extrêmement importante. L’univers des premiers temps était totalement différent de celui d’aujourd’hui. Il était extrêmement chaud (des milliards de degrés), extrêmement dense (des milliards de fois la densité du plomb), extrêmement lumineux et totalement désorganisé. Aujourd’hui, l’univers est très riche. Les structures organisées sont très nombreuses à toutes les échelles, ce qui n’était pas le cas il y a 15 milliards d’années. Il n’y avait pas de galaxies, d’étoiles, de molécules ou d’atomes. C’était le chaos. 
La notion de « big bang » renvoie à cette idée que l’univers n’a pas toujours existé et qu’il connaît de profonds changements. Il se refroidit, se raréfie, s’obscurcit et se complexifie.

Avez-vous une explication scientifique pour justifier ce passage d’un état chaotique à l’univers actuel ?

 Je vais vous donner quelques éléments, pour vous faire comprendre comment les choses se sont passées. Mais l’explication ultime nous échappera certainement toujours. 
Nous avons observé qu’il existait un certain nombre de forces dans la nature (la force de gravité, la force électrique, la force nucléaire et la force faible). Contrairement à l’univers, qui est en évolution, ces forces n’ont pas changé depuis 15 milliards d’années. Tous les phénomènes qui marquent la progression dans la diversité sont gouvernés par ces quatre forces. 
Si vous me demandez pourquoi les choses se sont complexifiées, je peux vous répondre qu’il existe des forces, qui soudent des éléments afin d’en faire des systèmes complexes. Si vous me demandez pourquoi il existe des forces, je ne connais pas la réponse.

Existe-t-il un but à cette complexification croissante ?

 Nous avons effectivement observé que l’univers avait connu une complexification croissante. Nous vivons dans un univers qui a commencé par le chaos et qui, progressivement, a vu apparaître des atomes, des molécules, des animaux, des êtres humains. Cette évolution est assez fabuleuse. 
En fait, votre question pose le problème du sens de l’existence. Je ne veux pas rentrer dans ce débat, car je crois que la réponse est forcément très personnelle. Chacun répond en fonction de sa culture et de ses croyances religieuses. La science explique seulement comment les choses fonctionnent. Elle n’apporte pas de réponse en ce qui concerne le sens. Vous ne pouvez pas lui demander ce qui est bien ou ce qui est mal. 
Je ne sais pas du tout si la nature a un souci de perfection. En tant que scientifiques, nous devons rester le plus près possible des observations.

Pensez-vous que cette complexification réponde à une nécessité ou au hasard ?

 Démocrite disait que tout arrive par hasard et par nécessité, ce qui a longtemps paru absurde. Nous avons compris que Démocrite avait raison au XXème siècle. Le fonctionnement de la nature fait appel à la nécessité, c’est-à-dire aux lois auxquels je faisais allusion tout à l’heure. Mais ces lois ne déterminent pas complément ce qui va se passer. La nature laisse une place au hasard. Je peux vous donner un exemple. Nous sommes 6 milliards d’êtres humains. Nous obéissons tous aux lois de la physique. Pourtant, nous sommes différents. 
La physique quantique, qui a été élaborée dans les années 20 et 30, a montré d’une façon claire et définitive que le hasard était impliqué dans le fonctionnement de la matière. Mais pendant très longtemps, le fait d’en appeler au hasard est passé pour de l’ignorance. Einstein disait que Dieu ne jouait pas aux dés. Son ami Niels Bohr lui avait d’ailleurs répondu : « Albert, cessez de dire à Dieu comment il doit se comporter ». 
La théorie du chaos déterministe, plus récente, montre également que la nature fait appel à la fois au hasard et à la nécessité. S’il n’y avait que de la nécessité, tout serait toujours pareil. 
Il n’y aurait jamais rien de nouveau. A l’inverse, si tout était laissé au hasard, il n’y aurait jamais eu de structuration. Tout seul, le hasard ne fait que du fouillis ! 
La nature utilise des forces pour que la matière se structure, tout en laissant place à une certaine inventivité. Le futur est déterminé dans les grandes lignes, mais certainement pas dans le détail. 
Nous pouvons aussi aborder le problème du hasard et de la nécessité sous un angle plus philosophique. Nous pouvons par exemple nous demander si ce jeu du hasard et de la nécessité est apparu par hasard. Les matérialistes répondent que oui. D’autres personnes font appel à Dieu. 
Le hasard intervient en fait à deux niveaux : un où il est réellement présent et un où il peut être l’objet de discussions.

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