Suis-je libre de penser ?

 Je suis parfaitement libre, remarquait Descartes, d'adhérer ou non à une idée. Personne ne peut me forcer à croire ou non une chose, et d'ailleurs personne ne peut même savoir ce que je pense. On peut donc me forcer à agir, mais non à penser telle ou telle chose.

  Nous sommes libres de penser donc, mais notre pensée est-elle vraiment libre ?

 L'origine, la famille, l'éducation, la localisation, les études, l’accès à des connaissances scientifiques, les hasards des rencontres de personnes charismatiques qu’elles soient artistiques ou politiques ou religieuses, la société dans laquelle on vit, l’usage des technologies, etc. ont une influence souvent déterminante dans nos raisonnements.

 Alors qu’est-ce qu’être libre ?

 Indissociable de la liberté de penser, il y a aussi la liberté de conscience, celle du for intérieur de l’individu. Elle a des liens étroits avec les différentes libertés : d’opinion, de création, de se déplacer, de croire ou de ne pas croire …

 Issues d’un long cheminement de civilisation, ces valeurs sont très présentes dans l’actualité 

Quelques notes prises au fil du débat

   En quoi consiste la liberté de penser ?

 

 

  • Cela fait appel à beaucoup de concepts, que chacun peut choisir, ou non, suivant sa façon de voir le monde, et donc il y a autant de façons d’être « libre de penser » que d'individus.
  • C’est un droit dont on peut bénéficier. Aucune autorité, aucun pouvoir ne peuvent nous empêcher de penser en notre "for intérieur"(cf Voltaire).
  • Il n’y a pas véritablement de pensée libre si on se laisse enfermer dans le passé, les habitudes, les croyances, la religion, son milieu etc…
  • Ce n’est qu’en se concentrant sur le présent que l’on peut se forger une pensée originale,  “décomplexée” !
  • Le processus créatif exige peut-être de faire advenir une pensée totalement libre, qui s’exprimera dans une oeuvre originelle, originale.
  • Les artistes qui marquent l’histoire sont des novateurs.
  • Mais qu'appelons-nous "penser", et sommes-nous libres de tout créer et tout imaginer?
  • Il existe une “pensée unique”, dominante, véhiculée par les medias, les institutions.
  • Ce genre culmine dans la pensée “totalitaire” imposée par les dictatures qui obligent chaque citoyen à l’accepter et interdise un discours qui pourrait la contester
  • Il existe un “déterminisme” subi par tout ce qui nous est inculqué depuis l’enfance. Mais il faut cependant tenir compte de connaissances collectives établies, par exemple actuellement, on ne peut plus penser que le soleil tourne autour de la terre, puisque le contraire a été démontré.
  • Les “peurs du ridicule”, de ne pas penser “comme tout le monde”, pèsent sur notre liberté.
  • Il faut passer outre ses peurs et trouver d’autres idées plus constructives.
  • La liberté d’expression de nos pensées permet de faire advenir de nouvelles pensées, et nos idées ont besoin du langage et de l'expression avec un interlocuteur "valable", pas son chien ou son chat.
  • La liberté de conscience est plus restrictive.
  •  La pensée nous permet de nous extraire du monde matériel. Est-ce que la pensée précède le langage? Ou est-ce que le langage est le produit de la pensée ? cf  Maurice Merleau-Ponty :

 Extrait de Wikipédia :

 Le Langage : Merleau-Ponty rejette explicitement la conception cartésienne ou mentaliste du langage, qui en ferait la simple expression de représentations mentales. Les mots ne sont pas, pour lui, le reflet de la pensée: « la parole n'est pas le « signe » de la pensée » 1. On ne peut en effet dissocier la parole et la pensée : les deux sont « enveloppées l'une dans l'autre, le sens est pris dans la parole et la parole est l'existence extérieure du sens » 1. Merleau-Ponty s'intéresse à une conception du mot et de la parole qui ne les réduisent pas aux simples signes de la pensée ou de l'objet extérieur, mais deviennent « la présence de cette pensée dans le monde sensible, et non son vêtement » 1. Il découvre ainsi, « sous la signification conceptuelle des paroles une signification existentielle », affective1. L'expression ne fait ainsi pas que traduire la signification, mais la réalise ou l'actualise 1.

 Le langage implique d'abord une activité intentionnelle, qui passe par le corps propre. « La pensée n'est rien d'“intérieur”, elle n'existe pas hors du monde et hors des mots. » 1 Il n'y a ainsi pas de pensée qui précède la parole ; la pensée est déjà langage (« cette vie intérieure est un langage intérieur » 1) et le langage est déjà pensée. »

  •   selon Nelson Mandela la pensée est libre car nul ne saurait la contraindre: par la pensée on s’extrait de la prison physique :

 Monsieur Mandela lit et récite à ses co-détenus ce poème de William Henley écrit en 1875 :

 “Dans la nuit qui me recouvre,

Noire comme l'enfer d'un pôle à l'autre,
Je remercie les dieux, quels qu'ils soient,
Pour mon âme indomptable.
Sous la prise cruelle des circonstances
Je n'ai ni grimacé ni crié tout haut.
Sous les coups de gourdin du hasard
Ma tête est ensanglantée, mais non baissée.
Au-delà de cet endroit de rage et de larmes
Seule se dessine l'Horreur de l'ombre,
Et pourtant la menace des années
Me trouve et me trouvera sans peur.
Peu importe à quel point la porte est étroite,
À quel point le rouleau est chargé de châtiments,
Je suis le maître de mon sort :
Je suis le capitaine de mon âme.”

  Autres citations de N. Mandela qui peuvent s’appliquer à la liberté de penser :

 «Je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu'un de sa liberté, tout comme je ne suis pas libre si l'on me prive de ma liberté. L'opprimé et l'oppresseur sont tous deux dépossédés de leur humanité ».

 « La vérité, c'est que nous ne sommes pas encore libres ; nous avons seulement atteint la liberté d'être libres, le droit de ne plus être opprimés. (…) nous n'avons fait que le premier (pas) sur une route plus longue et difficile. Car être libre, ce n'est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c'est vivre d'une façon qui respecte la liberté des autres. La véritable épreuve pour notre attachement à la liberté vient de commencer » écrit-il en conclusion de son autobiographie.

  Herbert Marcuse : la pensée contestataire ne peut être restreinte : cf l’Homme unidimensionnel

 http://la-philosophie.com/marcuse-l-homme-unidimensionnel-commentaire

 Le pluralisme des démocraties est une illusion qui cherche à masquer “le systèmespécifique de production et de distribution“. C’est le pouvoir critique de l’individu qui définit le degré de démocratie d’une société. Or, selon Marcuse, la pensée individuelle est “noyée dans les communications de masse”. Il pointe ainsi le double rôle des médias : informer/divertir, et conditionner/endoctriner. Les comportements et les pensées « s’unidimensionnalisent » par la publicité, l’industrie des loisirs et de l’information. La pensée unidimensionnelle est le  “système dominant qui coordonne toutes les idées et tous les objectifs avec ceux qu’il produit, donc il les enferme et rejette ceux qui sont inconciliables”

 Même les ennemis des institutions et de la démocratie sont devenus “une force normale à l’intérieur du système”. Le renversement est ainsi historique : si au départ, c’est la critique de la société civile qui permet à l’Etat de réguler son pouvoir, c’est aujourd’hui l’Etat qui bride la critique et l’affaiblit.

 Même ce que Marcuse appelle la “culture supérieure” (avec des accents évidemment nietzschéens), autrement dit l’ensemble des éléments oppositionnels et transcendants d’une société, a été incorporé à l’ordre établi. Cette déchéance résulterait selon le théoricien de l’Ecole de Francfort de la communication de masse, laquelle a marchandisé les domaines culturels (musique, philosophie, politique, religion, …) La culture a perdu son pouvoir de subversion.

 C’est bien la disparition de la pensée dans la réalité matérielle qui est le centre de préoccupation des intellectuels d’aujourd’hui. » 

  •   La physique quantique nous illustre que notre pensée ne peut se baser uniquement sur notre perception première de nos sens : illustration L’histoire du Chat de Schrödinger expliquée simplement, et lire la suite sur le site :

 https://cercle.institut-pandore.com/physique-quantique/chat-schrodinger-superposition-quantique/

  Par Stéphane , le 1 août 2014

 Fondateur de l'Institut Pandore. Amoureux des sciences et passionné par la pizza.

  Il est une histoire des sciences que tout le monde connaît plus ou moins : celle du chat de Schrödinger. Je vais vous la raconter rapidement comme n’importe qui vous la raconterait, sans chercher à l’expliquer.

 Erwin Schrödinger, l’un des piliers de la physique quantique, a imaginé une expérience de pensée à base de boite et de chat mort-vivant. Une expérience de pensée, c’est tenter de résoudre un problème en utilisant uniquement son imagination. C’est se poser la question : “que se passerait-il si….. ?”.

 Le bon Erwin a donc imaginé l’expérience suivante : il enferme son chat dans une boite close, contenant un dispositif qui tue l’animal dès qu’il détecte la désintégration d’un atome d’un corps radioactif. De l’extérieur, on ne peut pas savoir ce qui se passe dans la boite.

 En clair : le chat dans la boite peut vivre ou mourir, sans que l’on sache ce qui se passe depuis l’extérieur.

 Schrödinger était-il un psychopathe, pour inventer cette expérience ?

 Oh non, Erwin n’était pas dingue. Il a proposé cette expérience pour une bonne raison :il voulait confronter les gens aux paradoxes de la physique quantique.

 Du temps d’Erwin Schrödinger, la physique quantique n’était pas encore vraiment acceptée par tous les scientifiques. En particulier, la théorie de la superposition quantique posait carrément problème.

 Cette théorie nous explique que dans le monde quantique (c’est-à-dire à l’échelle de l’atome),  une particule – prenons un électron – peut être à plusieurs endroits en même temps. Vous devriez vous dire : “What ? Que l’on parle d’un électron ou d’une balle de tennis, comment un objet peut-il être à plusieurs endroits à la fois ?!”

 Voila comment c’est possible (spoiler : c’est la faute aux maths)

 Lorsqu’on parle des théories quantiques, il n’y a (presque) qu’une chose à garder en tête : la physique quantique est née grâce aux maths et continue à vivre grâce aux maths.

 Aussi lire sur http://www.science-emergence.com/Articles/Explications-sur-le-chat-de-Schrodinger/

  Quelle est la différence entre la pensée libre, le délire ou la folie ? Celui qui, par exemple, se prend pour Napoléon , est prisonnier de sa folie, et toute psychose empêche de se libérer de son délire. La folie simulée peut apporter une certaine liberté (cf Macbeth). 

  • Le rôle du mensonge dans la pensée, exemples : la politique, le “brexit”, dans la guerre d’Irak de 2003 “les armes de destruction massive”
  • Il y a “des vérités et non “une vérité”, il faut seulement toujours faire la recherche de la vérité, en sachant que la “vérité absolue et définitive” est inatteignable.
  • Pour penser nous avons besoin de connaître notre héritage de connaissances, dans tous les domaines, ce qui constitue non pas un passé qui enferme, mais un socle de références.
  • Il faut donner plus de moyens à l’éducation et à la culture.
  • Comment faire la différence entre bonne et mauvaise information. Se construire un soi intérieur, et cultiver une forteresse intérieure contribue à la liberté de penser selon la pensée stoïcienne. La liberté de penser se travaille et ne dépend pas que de la presse, mais surtout de soi-même
  • Il faut se confronter aux autres, mais surtout se forger une conviction par un gros travail de recherche personnelle, en lisant plusieurs sources, même contradictoires.
  • Lorsque, malgré la justesse des idées et arguments, nous ne sommes p    as convaincus, cela démontre que notre adhésion  est aussi basée sur nos sentiments, nos émotions, qu’elles soient conscientes ou inconscientes, admirables ou méprisables.
  •  La liberté de penser est très difficile à acquérir car il nous faut lutter contre les préjugés déjà acquis, connaître le pouvoir des affects et s'en méfier. Conquérir sa propre liberté dépend de la construction de soi. La liberté de penser n'est pas un acquis, c’est un défi à relever sans cesse.

  Peut-être peut-on constuire « notre forteresse intérieure » en nous inspirant de Sénèque et de la doctrine du stoïcisme :

 « Je ne place pas le sage en dehors de l’humanité et je n’ôte pas de lui la douleur, comme s’il était un rocher insensible. » Il précise encore sa pensée dans un autre traité : « Il est d’autres atteintes qui frappent le sage, bien qu’elles ne le terrassent point, la douleur physique, les infirmités, la perte de ses amis, de ses enfants, ou les malheurs de son pays que dévore la guerre. Je ne le nie pas, le sage est sensible à tout cela. Car nous ne lui attribuons pas un cœur de fer ou de roche. Il n’y aurait nulle vertu à supporter ce qu’on ne sentirait point.”

  « Si notre esprit n’a plus que mépris pour tout ce qui nous vient du bon ou du mauvais sort; s’il s’est élevé au-dessus des appréhensions; si, dans son avidité, il n’envisage plus de perspectives sans bornes, mais sait ne chercher de richesses qu’en lui-même; s’il ne redoute plus rien des dieux ni des hommes, n’ignorant pas qu’il a peu à craindre de l’homme et rien du dieu; s’il dédaigne tout ce qui fait la splendeur de notre existence et en est aussi le tourment; s’il est parvenu à voir clairement qu’en elle-même la mort n’est pas un mal et qu’elle met plutôt fin à nos multiples malheurs; s’il s’est voué à la seule excellence et trouve facile tout chemin qui mène à elle; si, en sa qualité d’animal social et né pour le bien de tous, il considère le monde entier comme une seule et même famille; […] – alors il s’est dérobé aux tempêtes et a pris pied sur la terre ferme et sous le ciel bleu. Il sait tout ce qu’il est utile et indispensable de savoir ; […] il s’est retiré dans sa forteresse…”

 D’où l’on rejoint la force de Monsieur Nelson Mandela, prix Nobel de la Paix, qui n’a pas appelé à la vengeance mais à la réconciliation.

 

_____________________________________________________________