Qu'est-ce que l'identité ?

     La question de l’identité est au cœur des préoccupations de notre époque. Individuelle ou collective, quête de soi ou recherche d’une identité culturelle sont érigés comme des totems d’un « paradis perdu »,  une origine vers laquelle on se tourne avec nostalgie et que l’on désire récupérer : Territoire, langue, coutumes anciennes, ethnie, religion...

Peut-on affirmer que l’individu ou un groupe humain fonde son existence sur une pérennité, sur un substrat culturel stable qui serait le même depuis l’origine des temps, sur une "essence" ?

 

Qu’est ce qui participe à la construction de notre identité ? Comment nait la conscience identitaire ? Comment faire en sorte qu’elle ne renferme pas les individus dans des catégories et l’humanité dans des conflits ?

Introduction au sujet 

Le mot identité a plusieurs sens. Du latin identitas qui signifie « le même », il a plusieurs sens : celui de « similitude » ; ou encore celui de « caractère de ce qui est un » ; en psychologie, « caractère de ce qui demeure identique à soi-même » ;  et en droit : le fait pour un individu de pouvoir être reconnu grâce à un ensemble de données de fait et de droit (état civil, signalement, etc..)

  Le sens qui nous intéresse est défini dans le dictionnaire Larousse comme suit : « caractère permanent et fondamental de quelqu’un, d’un groupe, qui fait son individualité, sa singularité ».

 Cette question de l’identité est au cœur des préoccupations de notre époque, individuelle ou collective, quête de soi ou recherche et affirmation d’une identité culturelle.

 Elle n’est pas sans conséquences sur l’avenir,  sur l’avenir de nos sociétés. Comme l’a formulé Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès, dans une intervention en décembre 2014 : « La démocratie se structure toujours autour d’une dispute centrale – c’est même en ce qu’elle accepte et organise les clivages qu’elle se distingue des totalitarismes. (…)

 Or, lorsque l’on regarde le débat public aujourd’hui ou que l’on réfléchit aux années qui viennent, la question est de savoir si c’est autour de l’égalité ou autour de l’identité que se structurera cette dispute centrale.

 Dans de nombreux pays, c’est l’identité qui prime – ici, la religion ; là, la communauté ; ailleurs, la géographie ; ailleurs encore, la tribu, la région ou la nation.

 Chez nous, jusqu’à présent, c’est l’égalité qui a primé.

 La différence fondamentale, et c’est là que se niche l’enjeu pour la démocratie, c’est que l’identité renvoie à ce que l’on est quand l’égalité renvoie à ce que l’on a, ou ce que l’on espère avoir. Or, il est bien moins difficile de trouver des compromis sur ce que l’on a, que sur ce que l’on est.

 Voilà pourquoi il serait sage de faire vivre le débat sur l’égalité et de ne pas exacerber celui sur l’identité. »

 De nombreuses questions se posent  autour de ce sujet :

 Saisir son identité (pour autant qu’elle soit saisissable), est-ce pour autant saisir l’authenticité de son être ?

 Peut-on affirmer que l’individu ou un groupe humain fonde son existence sur une pérennité, sur un substrat culturel stable qui serait le même depuis l’origine des temps, sur une "essence" ?  

  Qu’est ce qui participe à la construction de notre identité ? Comment nait la « conscience identitaire » ?  

 Comment faire en sorte qu’elle ne renferme pas les individus dans des catégories et l’humanité dans des conflits ?...

Retour sur le débat

Les participants se sont exprimés sur ce qui peut constituer notre identité :

  •  des données personnelles

   - le lieu où l’on est né, celui où l’on vit, notre nom, notre sexe, notre âge, nos qualités et nos défauts, notre couleur de peau

 - notre statut : étudiant, salarié, employeur, ou sans emploi

  •  des données collectives

 - la famille dont nous faisons partie, la région que nous habitons depuis longtemps

 - le pays dont nous avons la nationalité, le continent dont notre pays est un élément

  •  des données universelles

 - la conscience d’être un humain, petit atome de l’humanité planétaire

 - la conscience de faire partie d’un environnement –terre, eau, air, soleil- nécessaires à notre vie

 - le fait d’être citoyen d’un pays en guerre ou pas, le fait d’être un exilé ou pas,

 - d’être exclu ou non de l’accès aux droits universellement reconnus à tout être humain : nourriture, logement, soins, vie sociale libre et protection par une justice indépendante

  •  des données culturelles

 - la langue que nous utilisons, l’éducation reçue, les connaissances acquises et notre métier, la pratique des arts ou des sports

 - les idées que nous avons, une religion à laquelle nous croyons, ou pas

 - les valeurs vécues et qui fondent nos choix et nos actions :

        -exemples : notre vision du bonheur, notre conception de la liberté, notre conception du statut des femmes

  A été également évoquée  l’origine. Il est établi que nous avons une origine, puisque à notre tour nous devenons l’origine de quelqu’un ou d’idées, ou de réalisations.  Exemple : de fils nous devenons parent puis grand parent.

  Nous sommes  identifiés aussi par les actions que nous accomplissons, et les buts que nous nous fixons.

 Dans   l’Existentialisme est un humanisme, Sartre a développé l’idée que « l’existence précède l’essence ».

 Ainsi les hommes sont libres et  peuvent devenir les acteurs de leur vie. Il expose en cela que les choix que nous faisons construisent notre identité, définissent ce que nous sommes. La portée de nos choix est ainsi considérable, d'autant plus que nos choix engagent également les autres. Nous sommes non seulement responsables de nous-mêmes, mais aussi des autres.

 Simone de Beauvoir a montré que « devenir femme » est une construction historique. La formule « on ne naît pas femme, on le devient ». Il ne s’agit pas ici du genre féminin mais de son comportement autorisé : ainsi Simone de Beauvoir considère comme beaucoup d’autres, que les femmes n’ont pas des qualités « féminines » de façon innée mais qu’au contraire la société les formate pour les avoir.

  Après quelques échanges nous sommes tous d’accord sur le fait que les « races » n’existent pas : les hommes de tous les continents se sont métissés durant des millions d’années, et les ethnologues, les biologistes ont démontré que nous avons tous le même génome et le même ADN, les mêmes caractéristiques du cerveau et les mêmes capacités d’apprendre et de nous adapter.

  Ce qui existe ce sont des différences de culture, de traditions qui caractérisent une ethnie, par exemple les plus anciennes étant : les chasseurs cueilleurs, les pasteurs nomades, les agriculteurs, les éleveurs sédentaires etc…

 Nos discussions font apparaître  qu’il est nécessaire qu’existent des cultures différentes,  corse, balinaise, toscane, inuit, etc… Nous serions appauvris et tellement tristes sans ces autres façons de vivre, ces musiques, ces traditions qui nous font voyager dans l’imaginaire, à travers l’espace et  le temps !

 Chaque français est pluri- culturel avec un peu des cultures venant du Tennessee, du Maroc, de Sicile, etc…

  L’on observe que chacun peut évoluer dans ses attributs  identitaires  – langue, nom, opinions…-, et que la vie est une longue histoire en mouvement avec des changements voulus ou subis nous faisant changer d’identité.

  La modernité a consisté à ce que chaque individu  soit  reconnu par le seul fait d’être Humain, et cela lui permet de  construire son identité par des choix personnels.

  Après ces approches, les débats ont porté sur divers axes autour de l’identité :

  Pourquoi  le port de vêtements couvrants par les femmes,  associés à leur religion, est-il autant générateur de tensions ? Quelle est leur signification ? Signe d’appartenance religieuse ? Symbole d’infériorité de la femme ? Signe d’appropriation d’une femme par un homme ?... Pourquoi le turban Sikh, la kippa, la croix ne suscitent-ils pas les mêmes tensions et ne sont-ils pas assimilés à des signes d’infériorité ? 

 De nombreux points de vue ont été exprimés sur ces sujets.

  Ainsi que des rappels historiques :

 En France, la préoccupation des femmes a été de combattre pour acquérir les mêmes droits que les hommes depuis la révolution française -1789, dans tous les domaines, exemples : divorce de 1884 à 1975,  droit de vote -1944, ouvrir un compte en banque sans l’autorisation du mari -1965, accès aux Grandes Ecoles -1972, loi réprimant le viol entre époux -1992 etc…extraits d’une longue liste.

 La lutte pour l’émancipation a aussi eu lieu dans l’espace public afin d’obtenir la liberté :  de ne pas porter de chapeau (sortir « en cheveux »), de porter des pantalons, de ne pas sortir avec « un chaperon » pour les jeunes filles, de ne plus porter de foulard pour entrer dans une Eglise et même de ne plus aller à la messe, etc…

 Tout ceci sans être considérées comme des filles ou des femmes sans vertu et infréquentables.

  Concrètement, la laïcité  instaurée en 1905 est fondée sur le principe de séparation des Eglises et de l'Etat (loi de 1905 en France), en particulier en matière d'enseignement. Cette séparation a pour conséquences :

  •  la garantie apportée par l'Etat de la liberté de conscience et du droit de d'exprimer ses convictions : droit de croire ou de ne pas croire, de changer de religion, d'assister ou pas aux cérémonies religieuses.
  • la neutralité de l'État en matière religieuse. Aucune religion n'est privilégiée; il n'y a pas de hiérarchie entre les croyances ou entre croyance et non- croyance ou entre dogme et libre pensée.

 Actuellement, des évolutions ont eu lieu :

 -          l’Etat subventionne les écoles privées dispensant un enseignement juif, protestant, musulman ou catholique, dès lors qu’elles ont conclu un contrat avec l’Etat, garantissant la qualité de l’enseignement.

 -          des associations obtiennent de certaines collectivités locales des terrains quasi gratuitement, pour construire une mosquée.

 -          dans l’espace public et en dehors des lieux des services et de l’enseignement publics, chaque adulte peut se vêtir comme il veut, en respectant à la fois la décence, et la possibilité d’être identifié en laissant son visage à découvert.

 Il faut donc s’adapter à cette liberté pour chacun, sans contraindre qui que ce soit.

  Les discours  sur l’identité ont supplanté celui sur la « lutte des classes » qui  dominait les débats jusqu’aux années 1970.

  Ce concept opérait une distinction entre « pauvres exploités »,  et « riches exploiteurs », durant environ 150 ans -entre 1828 Guizot, Marx 1847- et les années 1970.

 Durant cette période il y a une volonté de solidarité entre les « travailleurs de tous les pays ».

 Ce discours a été éliminé de tout l’espace médiatique, politique et du  discours quotidien.

 (Pourtant, aujourd’hui, en France : les 10 % les plus riches possèdent 48 % de la fortune nationale, les 50 % les moins fortunés en possèdent 7 % … (chiffres avril 2013)

 Il a été remplacé par des considérations sur l’identité, parfois fondées sur la peur.

 Plusieurs causes de cette obsession identitaire par un  individu qui a des difficultés à se forger une visibilité et à la faire accepter par les autres :

 -          les  difficultés d’accès à l’emploi

 -          le chômage de masse

 -          la circulation libre des personnes, des capitaux et des marchandises,

 -          la concurrence entre les pays à fort coût salarial et ceux où la main d’œuvre n’a pas de salaire minimum,

 -          la diffusion sans  vérification  d’idées, d’images, d’informations à travers internet … 

 En conclusion

  Il ne suffit pas de réfuter les identités pour qu'elles disparaissent. Chacun pour exister a besoin d’une identité et de trouver comment la construire. Des strates coexistent dans tout individu. Chacun est multiculturel. Elle revêt une importance plus ou moins forte selon les individus et cela alors que les métissages et les migrations sont de plus en plus massifs.

Cependant, Si certains aspects de l'identité sont sympathiques et attachants, certaines façons de revendiquer l'identité divisent et il ne faut pas occulter cet aspect et être conscient qu'aujourd'hui on parle de la fracture identitaire" alors qu'il y a une dizaine d'années, on parlait de la "fracture sociale" ... 

  •  Nous pouvons continuer à réfléchir et nous enrichir en lisant  la thèse de notre docteur en philosophie, Daniel Ramirez, qui ce soir nous a guidés brillamment, en évitant les écueils d’un débat où chacun a pu s’exprimer et où les perceptions et les choix ont été parfois opposés :

  

IDENTITE CULTURELLE ET DIMENSION ETHIQUE

 Une réflexion à partir de la pensée de Charles Taylor

 Thèse de Daniel Ramirez  -  

 Ci- après  un extrait de la présentation :

 «Le projet global de cette recherche est d’aborder la question de la place et de la pertinence de l’identité culturelle et des identités culturelles dans la réflexion éthique… pour la construction d’une éthique de la compréhension des identités culturelles dans un monde pluriel…

 il me semble que la notion d’identité elle-même est souvent superficiellement développée et utilisée sans rigueur dans beaucoup de débats actuels, qui ne citent même pas ses sources (de l’identité), sans qu’on sache très bien d’où elle vient ni comment comprendre qu’elle soit devenue d’une certaine façon omniprésente. Ainsi, une exploration, plutôt brève, de ces apports provenant des sciences humaines, m’a paru importante, surtout en ce qui concerne G.H.Mead et E. Erikson, cités très fréquemment par Taylor (Canada). […]

  La conclusion générale, réévaluation de l’ensemble du projet, essaie de faire ressortir son unité et, dans la mesure du possible, d’avancer vers la proposition — et formalisation, par une série d’impératifs — d’une éthique des identités culturelles. Elle serait inspirée des théories tayloriennes et de leur confrontation au monde sécularisé, pluriel et globalisé, mais sans se limiter aux formulations du philosophe. Son objectif est de constituer des outils pour un abord plus ouvert et moins crispé des questions multiculturelles. Elle devrait pouvoir montrer aussi son utilité dans l’étude et la formulation des perspectives éthiques nouvelles lorsque de nouveaux problèmes se présenteront, en partie à cause de la globalisation, mais aussi des mouvements massifs d’immigration qui semblent inévitables, en vue de l’implantation et de l’évaluation des politiques moins clivées dans nos sociétés multiculturelles dans un monde plus que jamais culturellement divers et moralement pluriel. » 

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